• Qui se reconnaît ?

    J'emprunte ce texte à Nikki qui l'a publié sur son blog. Ce n'est pas Nikki qui en est l'auteur. L'auteur est Sud mais je n'en sais pas plus. Je vous laisse lire jusqu'à la dernière ligne car c'est celle-ci qu'il faut bien comprendre :

     


    Vocabulaire

    La jardinière semble parler un langage compréhensible par à peu près tout le monde ; mais à la côtoyer 
    journellement, vous vous rendrez compte qu’un décodage est indispensable.
    Si elle lance à la cantonade juste avant le repas « Je vais faire un tour au jardin », assurez-vous qu’elle n’a rien laissé sur le feu ou dans le four.
    S i vous avez prévu une course ensemble dans l’heure qui suit, et même si elle vous dit être prête, allez la chercher sur le terrain (et où voulez-vous qu’elle soit ?) un peu en avance afin qu’elle ait le temps de rendre décente son apparence (elle aura trouvé le moyen, bien que n’en ayant vraiment pas l’intention, de déraciner un arbuste ou de pulvériser de la bouillie bordelaise malgré le vent et de saloper l’unique chemisier neuf repassé ou d'éclabousser ses chaussures vernies pendant un arrosage impromptu).


    « Je vais jardiner » signifie en général : « je vais arracher des mauvaises herbes » Pourquoi ne l’avoue –t- elle pas ? C’est que ce travail destructif, qui occupe pourtant la plus grande part de son temps, est celui qu’elle hait le plus et la transforme en parenthèse ambulante;
    «Je vais traiter » : si elle l’annonce avec des trémolos et le déguisement d’un pompier de Tchernobyl c’est qu’elle va vraiment faire un traitement ; mais ne vous inquiétez pas de son testament si elle a l’air du héros glorieux partant sauver le jardin, c’est juste que le purin d’ortie pue un peu...

    « Je vais planter des rosiers » : signifie qu’elle va vraiment planter des rosiers (en fait ça elle ne le dira même pas car elle ne vous a jamais dit quand elle les a achetés, ces rosiers)
    « Il FAUDRAIT que je taille le cyprès » … Si vous êtes sympa, comprenez enfin que VOUS devez vous proposer pour cette tache ; elle a bien laissé entendre auparavant qu’elle avait le vertige ou mal au bras…
    … Si dans le même élan vous proposez de tondre la pelouse et qu’elle accepte avec reconnaissance, sachez qu’elle entend aussi par là que vous vous assuriez avant de commencer, que le plein de carburant est fait ( et donc que vous vous rappelez où se trouve la réserve ), que vous tondiez UNIQUEMENT la pelouse (et pas la bordure de jeunes semis ou ces herbes probablement mauvaises mais qui devaient soit disant fleurir) ,que vous ramassiez le gazon pour le déposer au bon endroit à l’abri du vent, que vous vous occupiez avec précision des bordures, que vous curiez l’engin (et pas avec la brosse du chien) et le rangiez autre part que devant la voiture, au beau milieu de l’allée. Rassurez-vous, en général elle sera là en cas d’urgence car elle supervise d’un œil vigilant, mine de rien, en faisant les carreaux, depuis que vous avez décapité l’asperseur la dernière fois.
    « Je DOIS aller à la jardinerie, je n’ai plus de terreau » veut dire que cette visite est donc indispensable, voire urgente ; elle va revenir cependant avec pleins de godets qu’elle ne pensait pas trouver ainsi qu’un bel arrosoir en zinc, mais aura oublié le terreau, car le budget était dépassé. Ne faites aucune observation, elle repartirait chercher le terreau, et le budget serait VRAIMENT largement dépassé.



    Mais elle doit elle aussi s’adapter au langage jardinier afin de ne pas être prise en traître.

    Elle s’y entraîne en lisant les revues de jardinage au hasard des propositions mensuelles de son marchand de journaux, ou bien en s’abonnant à plusieurs d’entre-elles (ou les deux si la dépendance est devenue trop exigeante).
    La lecture de la presse spécialisée est pour la jeune jardinière source de bien de frustrations quand elle se rend compte qu’elle ne comprend rien à ce qu’elle lit, ou qu’elle ne connaît (et n’a donc pas) les trois quarts des plantes mises en scène, ou qu’elle a essayé avec un piètre résultat le bricolage d’un nichoir ou d’une table de rempotage.
    La jardinière confirmée lira cette presse elle aussi, avec autant d’avidité ; mais elle le fera en ricanant souvent, ou en hochant la tête d’un air blasé. Il y a longtemps que le nichoir a dégringolé de l’arbre où il était mal ficelé et que la table de rempotage s’est écroulée sous le poids du premier sac de terreau posé dessus (pourtant avec délicatesse).

    L’annonce de la 3500 ème fête des plantes rares lui fera suspecter que leur rareté devient toute relative ; de même, si on lui fait miroiter un trésor perdu de plantes anciennes et oubliées, elle doit garder la tête froide: les tomates de Monsieur Alzheimer ont peut-être été oubliées à bon escient...
    Cependant elle s'y rendra quand même et de telle sorte qu'elle "fasse" l'ouverture , en jouant des coudes, surtout si elle a reconnu le voisin aux thuyas. C'est comme pour les soldes, passée la première heure, tout le meilleur est sûrement parti.

    La lecture des catalogues se fera avec méfiance également si elle voit la photo d’une rose bleue ou si on lui offre une machine à laver pour deux godets commandés : autant de pièges qu’elle devra déjouer car son environnement lui est par définition hostile. Tous ces prédateurs n’attendent que sa perte, via son compte bancaire.

    A la télé, si la Météo annonce d’un air victorieux :
    « Beau temps chaud avec un vent qui va bien dégager les nuages », elle doit aller sur-le-champ attacher ses tomates, lier son rosier grimpant et arroser abondamment ses jeunes plantations en maudissant ces présentateurs qui disent uniquement le temps pour les vacanciers citadins.
    « Pas de risque de pluie ce week- end » là rien à faire sauf tendre un poing rageur vers ces pauvres nuages, à l’abri des regards, ou entamer une simagrée de danse de la pluie bien cachée des voisins.
    Le "temps maussade" lui rendra le sourire: c'est idéal pour jardiner sans avoir chaud, (et comme en plus ça ne donne pas envie de se promener, on peut jardiner sans remord ). Si en plus la pluie finissait par tomber un peu quand elle aura fini ses semis... le bonheur.

    En jardinerie, la jardinière rusée devra traduire la lecture des étiquettes sur les godets ; méfiance même si par chance ladite étiquette correspond parfaitement au godet en question ; « terre fraîche » ne veut pas dire plus froide que d’habitude, mais qui « reste humide » ; « rosier qui a une assez bonne remontée » signifie qu’il va falloir le nourrir au caviar pour obtenir une seconde floraison, « assez résistant aux maladies » lui fera penser à renouveler son attirail chimique ou envisager l’importation massive de coccinelles .



    Echanges

    A certaines périodes, sans tenir compte du calendrier, la jardinière sent venir le besoin de reproduction pour multiplier les plantes de son jardin.
    Elle pensera donc à envisager de nouveaux mariages par de nouveaux échanges; elle lorgnera d’abord discrètement par-dessus la haie, chez son voisin. Si celui-ci a les plantes convoitées, elle se liera d’amitié avec lui et proposera des échanges. Si elle ne peut voir à travers une haie de thuyas, qu’elle passe son chemin ; de toute façon, elle a sûrement ce qu’il y a derrière et dont elle-même n’a pas fini de se débarrasser. Quand elle aura fait le tour de son voisinage (sans oublier les ronds points) et qu’elle ne saura que faire encore de ses menthes ou de ses asters, mais n’arrivant pas décidément à trouver un bel arbustus cachendis ‘pototelectricus’ elle envisagera via les petites annonces de ses revues jardinières des obtentions à moindre frais. Malheureusement jamais sa liste d’offre ne correspondra avec celle convoitée : tout ce qu’elle a en trop, il est évident que d’autres le cultivent et le multiplient déjà aussi facilement, le reste se trouve toujours sur les catalogues, et exclusivement.


    Cependant une autre possibilité s’offre depuis peu à la jardinière émerveillée : Internet a bouleversé sa vie ; il a fallu se dépatouiller d’une technique nouvelle qu’elle a apprise avec opiniâtreté depuis qu’elle en a soupçonné les bienfaits ; et à présent elle échange ses plantes du sud contre celles du nord , troque les semis de montagne contre ceux du littoral, asphyxie de robustes composts des plantes frugales et frigorifie des fleurs méditerranéennes ; tutoie de parfaits inconnus qu’elle nomme de prénoms incongrus suivis de chiffres d’espions, qu’elle est prête à inviter chez elle, elle qui ignore son voisin. Elle est imbattable dans la confection de colis improbables dûment ficelés, reçoit des enveloppes ventrues abondantes de graines bizarres parfaitement inadaptées à sa terre. Elle squatte les locaux de la poste avec ennui, affronte avec courage de sympathiques postières, voit disparaître avec horreur ses chers paquets tête en bas manipulés brutalement, va se faire sûrement signaler avec ses colis suspects et sonores, parfois odorants, s’offusque du prix exorbitant des colissimos (avec le même prix, elle aurait pu avoir une vraie plante bien racinée dans un vrai godet..)
    Mais elle reçoit en retour des choses inattendues, avec de l’amitié par-dessus , des quatre coins du pays. 
    Alors, certaines d'entre vous se reconnaissent ?
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  • Commentaires

    1
    Céline du Jardin Fle
    Dimanche 7 Avril 2013 à 12:00
    Je pense aussi l'avoir dépassé mais c'est incontrôlable.
    2
    David
    Dimanche 7 Avril 2013 à 12:00
    En version masculine c'est presque ça pour moi. Je lutte pour ne pas arriver à ce point là mais bon ... en fait je crois l'avoir même dépassé...
    3
    Céline du Jardin Fle
    Dimanche 7 Avril 2013 à 12:00
    Tout à fait !
    4
    Florence Millé
    Dimanche 7 Avril 2013 à 12:00
    Comme c'est justement bien dit ! Quel sens de l'observation ! Je me reconnais.... Mais quel bonheur de pouvoir donner libre cours à sa passion et de la partager. Florence
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